Le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dit « Loi Macron », adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale via l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution par le gouvernement (vote de confiance), doit à présent passer devant le Sénat. Le texte définitif ne verra vraisemblablement le jour qu’à l’automne prochain.
Ce texte fleuve de plus de 200 articles concerne de nombreux domaines au premier rang desquels figure l’épargne salariale… mais aussi les conditions d’attribution des retraites chapeau. Voici les points clefs que nous avons retenus, sous réserve des éventuelles modifications apportées par le Sénat.
Mesures concernant l’actionnariat salariés
L’obligation de proposer une offre réservée aux personnels en cas de cession de capital par l’Etat est de retour
L’ordonnance du ministère des finances N°2014-948 du 20 août 2014, relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique, a abrogé l’article 11 de la loi n°86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités de privatisation des entreprises publiques. Cette dernière stipulait que 10 % des cessions ou augmentations de capital par l’Etat devaient être réservées aux personnels de l’entreprise (ORP).
En octobre 2014, découvrant, à l’occasion de la cession par Bpifrance Participation de 1,9% du capital d’Orange, la manœuvre estivale du gouvernement opérée par voie réglementaire pour libérer l’Etat de ses obligations envers les personnels, la CFE-CGC Orange a vivement réagi.. Elle a notamment fait déposer une question écrite à l’Assemblée nationale, qui a permis d’interpeller le gouvernement sur le sujet. Le gouvernement semble aujourd’hui revenir à une approche coercitive favorable à l’actionnariat salarié.
L’article 50 de la loi « Macron » devrait ainsi réintégrer l’obligation de céder une fraction des titres aux personnels de l’entreprise (au maximum 10%), lors de toute opération de cession de participations par l’Etat au secteur privé. L’entreprise pourrait prendre à sa charge une décote ne pouvant excéder 20% du prix de cession, ou des délais de paiement, qui ne pourraient excéder 3 ans. Si un rabais venait à être consenti, les titres acquis ne pourraient être cédés avant 2 ans par les salariés. Le texte n’évoque plus la possibilité d’y associer l’attribution d’actions gratuites, un certain délai de détention passé.
La CFE-CGC et l’ADEAS demandent qu’une ORP soit mise en œuvre dès 2015, pour, a minima, le nombre de titres qui aurait dû revenir aux personnels d’Orange dans le cadre de la cession d’octobre 2014 par BPI France.
Réforme fiscale attractive du dispositif d’attribution d’actions gratuites (AGA)
L’article 34 de la loi fait évoluer le cadre fiscal des distributions d’actions gratuites, tant pour l’entreprise que pour le salarié.
Sécurisation importante pour l’entreprise, la contribution patronale ne serait dorénavant exigible qu’après leur distribution effective aux personnels. Rappelons que jusqu’à présent, même si les actions n’étaient pas attribuées, l’entreprise payait tout de même cette contribution. Ainsi pour Orange, le lancement du plan « Partageons » a généré le paiement d’une contribution de plus de 20 millions d’euros qui, en dépit de l’ouverture d’un contentieux au tribunal des affaires de sécurité sociale, ne sera jamais restitué. Or, les objectifs de performance liés à cette distribution gratuite n’ayant pas été atteints, les actions n’ont pas été offertes : 20 millions d’euros dilapidés… sans parler du coût de portage financier du rachat de 16 millions de titres, conservés pendant 2 ans par l’entreprise pour cette opération.
Le taux de la contribution patronale serait également ramené de 30 % à 20 % et porterait sur la valeur des actions à la date de l’acquisition des titres par les salariés.
Du côté du salarié, la loi permettra un assouplissement des conditions dans lesquelles les actions gratuites peuvent être distribuées.
L’avantage salarial correspondant à la valeur des actions, à leur date d’acquisition, échapperait à la contribution salariale spécifique de 10 %. Surtout, ce sera désormais le régime fiscal des plus-values mobilières, plus simple, qui s’appliquera en cas de des actions reçues. Un nouvel abattement sera proposé sur les plus-values imposables (pour l’impôt sur le revenu comme pour la CSG et la CRDS) selon la durée de détention (50% entre 2 ans et 8 ans de détention et 65% au-delà).
La CFE CGC soumettra à l’approbation des conseils de surveillance des fonds détenteurs de titres de l’entreprise Orange actions et Cap’Orange, un projet de résolution autorisant l’attribution d’actions gratuites dès que la loi sera définitivement promulguée.
Renforcement de la présence des salariés / porteurs de parts au sein du conseil de surveillance des fonds de l’épargne salariale
L’article 35 quinquies modifie l’article 214-164 du code monétaire et financier afin de renforcer la présence des salariés dans les FCPE.
Les représentants de l’entreprise, qui pouvaient composer la moitié du conseil de surveillance, ne pourront plus occuper qu’un tiers des sièges au maximum.
Note postérieure à la promulgation de la loi Macron : cette modification n’a finalement pas été adoptée dans le texte final de la loi… mais nous avons tout de même obtenu que, chez Orange, les Conseils de Surveillance des fonds du PEG où sont logées les actions Orange appartenant aux personnels soient composés pour 50% de représentants des porteurs de parts élus par les porteurs de parts, pour 25% de représentants désignés par les organisations syndicales, et pour 25% de représentants désignés par la Direction de l’entreprise.
Comme le COPIESAS (Comité d’Orientation de la Participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié) l’a rappelé, l’épargne salariale appartient aux salariés, ceux-ci doivent, en conséquence, disposer d’un réel pouvoir de contrôle. Au sein des conseils de surveillance des fonds détenteurs de titres de l’entreprise, la question des conflits d’intérêts potentiels s’agissant de la présence de représentants de la direction, non détenteurs d’actions, potentiellement capables de neutraliser la capacité des conseils à émettre des résolutions à l’Assemblée générale de l’entreprise est encore plus prégnante. Que dire de représentants de l’entreprise votant sur les résolutions proposées par le Conseil d’administration présidé par le PDG de l’entreprise. La directive européenne 2007/36, non remise en cause par la prochaine directive actionnaires, doit donc être appliquée dans l’ensemble des fonds, qu’ils soient diversifiés ou seulement détenteurs de titres de l’entreprise.
La CFE-CGC et l’ADEAS demanderont que tous les conseils de surveillance des fonds du PEG et du Perco obéissent aux nouvelles règles, de préférence même avant qu’elles ne soient promulguées : c’est l’occasion pour la Direction de démontrer concrètement la bonne volonté qu’elle affiche en matière de dialogue social.
Distribution facultative de dividendes dans les fonds communs de placement en entreprise
Selon l’article 35 septies, les FCPE d’actionnariat salariés pourraient être dispensés de la distribution des dividendes attachés aux actions du portefeuille du fonds. Actuellement, le conseil de surveillance du FCPE ne peut pas y déroger. Cette mesure contraignante peut constituer un frein au développement de l’actionnariat salarié compte tenu de la complexité de l’organisation à mettre en place.
La distribution des dividendes deviendrait facultative, et le règlement du FCPE et son conseil de surveillance préciseront si les dividendes sont distribués ou capitalisés dans le fonds.
Une telle mesure renforcerait évidemment l’intérêt pour les personnels actionnaires d’être majoritaires dans les Conseils de surveillance des fonds. La CFE-CGC demandera un versement du dividende en actions, moins coûteux que la distribution de numéraire, et qui favorise le renforcement de l’actionnariat salariés.
Baisse du forfait social de l’entreprise favorable au PERCO
La contribution payée par les entreprises sur les montants versés à leurs salariés dans le cadre de l’intéressement et de la participation devrait être abaissée de 20% à 16% pour les plans d’épargne pour la retraite collectifs (Perco). Cet allègement est cependant conditionné au fait que le plan soit investi dans des fonds contenant au minimum 7% de titres éligibles au PEA-PME.
La gestion pilotée devient le choix de placement par défaut pour les Perco
A compter du 1er janvier 2016, en l’absence de choix du salarié, la gestion des avoirs de son plan serait déléguée à un expert, la partie risquée de ce placement diminuant à l’approche de la retraite. Par ailleurs, l’entreprise pourra abonder les Perco de manière régulière et unilatérale, sans que le salarié ait besoin d’effectuer un versement, ce qui était jusqu’ici impossible après la première année.
Les primes d’intéressement seront affectées par défaut au plan d’épargne entreprise (PEE)
C’est déjà le cas pour la participation, lorsque le salarié ne demande pas leur versement immédiat. Cette règle sera mise en œuvre à compter du 1er janvier 2016. Le titulaire d’un PEG bénéficiera d’un délai de trois mois pour se rétracter et demander le déblocage de son intéressement une fois qu’il aura été notifié du versement de ses primes sur son plan.
Retraites chapeau
Conditionnement des retraites chapeau des dirigeants mandataires sociaux
à la performance de l’entreprise
L’article 64 bis (introduit à l’initiative des rapporteurs avec l’avis favorable du Gouvernement), prévoit que les retraites chapeau bénéficiant aux dirigeants mandataires (présidents, directeurs généraux, directeurs généraux délégués et membres du directoire) seront subordonnées aux performances du bénéficiaire, appréciées au regard de celles de l’entreprise.
Ce conditionnement à la performance de l’entreprise existe déjà aujourd’hui dans le code de commerce pour l’ensemble des autres éléments de rémunération : il n’y a donc aucune raison que cette condition ne s’applique pas aux retraites chapeau.
Rappelons que la plainte déposée par la CFE-CGC Orange contre la retraite chapeau de D.Lombard en novembre 2014 avait suscité l’émoi dans les médias, et avait conduit à une question orale à l’Assemblée Nationale. Monsieur Macron avait alors dû prendre parti pour une modification de la législation, désormais transcrite dans le projet de loi qui porte son nom.