Comme l’a noté Challenges, les résolutions proposées par le Conseil d’Administration de l’entreprise au vote des actionnaires réunis en Assemblée Générale, le 9 juin dernier, ont recueilli des scores de « république bananière ».
Dans un monde de plus en plus complexe et financiarisé, peut-on encore prétendre que le vote des actionnaires est réellement éclairé ? La Direction de l’entreprise en tous cas fait de son mieux pour le manipuler. Quelques exemples ?
Dividendes et présentation des comptes : à quelle norme se vouer ?
La Direction a fondé l’essentiel de son discours financier sur la distribution d’un dividende représentant 45% du cash flow organique, arguant que ce ratio est plutôt dans le bas de la fourchette des pratiques pour les opérateurs de télécommunications.
De fait, dans les transparents de présentation, comme dans le discours qui l’accompagnait, on ne trouve aucune référence au résultat net (bénéfice) de l’entreprise, tel que mentionné dans les comptes annuels ou dans les comptes consolidés. Pourtant, l’approbation des comptes était l’objet des deux premières résolutions présentées au vote des actionnaires. La première mentionne une perte de 1,416 milliard d’euros dans les comptes annuels. La seconde concerne les comptes consolidés, transcrits dans le document de référence. Le résultat net consolidé distribuable aux propriétaires de la société mère y apparaît pour un montant de 2,977 milliards d’euros, soit 1,13 euro par action. Le total des dividendes distribués au titre de l’exercice 2009, à raison de 1,40 euro par action – objet de la troisième résolution, se montera donc à près de 3,7 milliards d’euros.
Les actionnaires ont-ils pris le temps d’étudier les documents de référence de l’entreprise ? Personne n’a posé la question de ces écarts de chiffres, pourtant troublants, qui mettent en question la saine gestion de l’entreprise (comment peut-on distribuer des dividendes supérieurs aux bénéfices ?), mais aussi sa transparence financière, qui est une exigence pour une entreprise cotée en bourse.
Les trois premières résolutions ont été adoptées avec les scores respectifs de 98,47 %, 99,87 % et 98,24 %, soit le pourcentage de suffrages exprimés par les actionnaires présents ou représentés (quorum de 61,52% pour l’AG 2010)
Pour pondérer ces résultats, rappelons que l’État détient, directement ou via le FSI (Fonds Stratégique d’Investissement), 27% des parts (ce qui le positionne comme principal bénéficiaire des dividendes), et que le vote des salariés actionnaires, qui représentent environ 4% du capital, s’exprime pour l’essentiel au travers des fonds du plan d’épargne groupe, dont la Direction peut facilement orienter les votes avec l’aide d’une seule organisation syndicale (dont le représentant, sans surprise, a bien été élu par l’AG en tant que représentant des salariés actionnaires, avec un score de 84,65% de vote positif à la neuvième résolution) Le reste des suffrages se répartit entre les investisseurs institutionnels, y compris étrangers, et les petits porteurs présents ou représentés.
6ème résolution : mensonge par omission
La présentation de cette résolution illustre particulièrement bien comment il est facile de manipuler l’opinion d’une assemblée. Il s’agissait ici d’approuver « les avenants aux contrats conclus entre la société Novalis et la Société relatifs aux frais de santé et à la prévoyance décès-incapacité-invalidité des mandataires sociaux de la Société ».
Cette résolution a été présentée avec l’indication orale que tous les salariés de l’entreprise en bénéficient. Sous entendu : il n’y avait pas de raison d’en priver les seuls mandataires sociaux.
C’est vrai, tous les salariés bénéficient d’une mutuelle obligatoire souscrite par le Groupe. Mais pas les fonctionnaires. Qui, comme cela a été rappelé lors de cette même AG, représentent 64% du personnel français, incluant d’ailleurs le Président Lombard, fonctionnaire à la retraite, qui s’est donc assuré une meilleure couverture sociale en faisant voter cette résolution.
Rémunérations : comment noyer le poisson
Une actionnaire a posé la question des écarts de rémunération, ainsi libellée : « quel est l’écart entre les dix plus fortes et les dix plus faibles rémunérations de l’entreprise, et qu’en pense le Conseil d’Administration ? »
La seconde partie de la question n’a pas obtenu de réponse. A la première partie, il a été répondu « l’écart entre la moyenne des 10% les mieux payés et la moyenne des 10% les plus mal payés est de 3,3 ». Cet écart, mesuré dans le bilan social de l’entreprise, ne cesse d’augmenter (+12% en 5 ans), alors même que les plus bas salaires de l’entreprise disparaissent, au profit de la sous-traitance, y compris délocalisée.
On peut cependant fournir d’autres réponses. Page 316, le document de référence de l’entreprise mentionne les revenus du PDG de France Télécom, Monsieur Didier Lombard, pour l’exercice 2009 : 1 587 992 euros, dont 900 000 euros de rémunération fixe. Les informations du rapport annuel permettent en parallèle d’identifier 181 000 collaborateurs dans le monde (page 10), pour 9,094 milliards d’euros de charges de personnel (page 86), soit en moyenne 50 000 euros par collaborateur. Exprimé en revenu pour les personnes concernées, c’est donc un écart d’environ 1 à 50 entre les revenus du PDG et le revenu moyen par collaborateur de l’entreprise.
« Belles histoires » : les personnels de l’entreprise espèrent qu’elles seront bientôt le cas général
En visionnant les petits films projetés devant l’Assemblée Générale pour illustrer quelques parcours professionnels dans l’entreprise, les personnels ont été notamment surpris de constater qu’on mettait en avant les plateaux d’appels, dont on sait qu’ils font partie des services de l’entreprise les plus exposés aux risques psycho-sociaux selon les résultats du rapport Technologia, ou encore un travailleur handicapé, lorsqu’on sait que France Télécom en la matière ne respecte ni le pourcentage légal de travailleurs handicapés dans l’entreprise, ni les accords qu’elle a signés avec les organisations syndicales pour s’en affranchir.
Sans mettre en doute la sincérité des témoignages présentés, on peut cependant noter le caractère exceptionnel des parcours évoqués, et l’habileté des communicants qui ont préparé cette belle séquence.
Les personnels les plus sagaces n’auront pas manqué de déceler d’autres « détails » du même ordre, telle la composition du Comité Stratégique, dont tout laisse à penser qu’il est constitué tout exprès pour permettre au Président Lombard de valider toutes ses propositions, ou encore l’incapacité de ce même Président, qui rappelait pourtant assumer l’entière responsabilité du pilotage de l’entreprise pour l’exercice 2009, à revenir sur la crise sociale, encore moins à présenter un quelconque mea-culpa. Il a préféré engager l’entreprise dans la promesse de poursuivre, pour l’exercice 2010, la distribution d’un dividende représentant au moins 45% du cash flow organique, laissant à Stéphane Richard le soin de prendre le « tournant » annoncé dans les slides de présentation, afin de surmonter la crise en travaillant sur un nouveau projet d’entreprise.
L’ADEAS ne peut qu’inviter les actionnaires à une vigilance toujours accrue dans l’analyse des données qui leur sont présentées, et la Direction de l’entreprise à une plus grande transparence, afin que la confiance puisse durablement se restaurer entre toutes les parties prenantes de l’entreprise, personnels, actionnaires, clients, et société civile, pour laquelle France Télécom reste, de par son histoire, une entreprise emblématique, et qui, à ce titre, se doit d’être exemplaire.
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